De grands pilotes tels que Mike Hailwood, John Surtees et Geoff Duke, pour n'en nommer que quelque-uns, ont mené cette machine vers les sommets. Disponible en compétition-client, cette moto a aussi équipé de nombreux pilotes privés à tel point que, jusqu'au début des années 60, les grilles de départ des Grand Prix 350cc et 500cc étaient majoritairement constitués de Norton Manx. Seuls les multicylindres italiens ou japonais parvenaient à barrer la route aux monos anglais. Les Manx ont ensuite gentiment disparu des plateaux avec l'apparition des deux-temps japonais, également proposés en compétition-client.
Cependant, la Manx n'a pas seulement marqué son passage et les esprits par ses résultats. Elle constitue à mes yeux l'une des motos les plus abouties sur le plan esthétique. Dépourvue de carénage, cette moto dans sa robe grise officielle, son magnifique moteur, sa boîte à vitesses séparée, son pot d'échappement de type mégaphone et son cadre Featherbed dégage une telle impression de légèreté et d'harmonie qu'on a envie de la posséder. Du rêve à la réalité, il faut toutefois faire un sacré grand écart. En effet, tant les machines d'époque que les répliques sont très onéreuses et pas si simple à entretenir. Ce sont des purs-sangs et leur transformation pour une utilisation sur route est illusoire. Une Manx ne devrait donc pas être sortie de son environnement, soit les circuits. En Suisse, on connaît la situation... Hormis à Lignières (NE), il n'est guère possible de rouler librement sur circuit.
Compte tenu de ces éléments, j'avais depuis longtemps abandonné l'idée, mais non pas l'envie, de posséder une Manx. Les hasards de la vie m'ont un jour mis en présence d'une Norton ES2 de 500cc, de 1963. Rien de très sexy, si ce n'est que la machine, abandonnée depuis plusieurs années au fond d'une remise, était déjà partiellement transformée pour devenir une fausse Manx ou la Manx du pauvre comme la nomme les Anglais.
Je m'explique. Norton a produit le modèle ES2 entre les années 1920 et 1960. Au départ, la machine était équipée d'un cadre rigide sans suspension. Elle a évolué au cours des années et les dernières versions, de 350cc ou de 500cc, étaient équipées du fameux cadre Featherbed et de la fourche Roadholder, comme les Manx, à quelques nuances près. Ces deux attributs réputés vont toutefois précipiter la disparition de cette moto sur nos routes car elles vont servir de donneurs aux Triton (hybride constitué d'une partie-cycle Norton et d'un bicylindre Triumph). Ce destin n'a pourtant rien d'étonnant car l'ES2, même équipée d'une partie-cycle issue de la compétition, n'est pas spécialement attrayante. De plus, sa puissance, soit environ 24cv est plutôt faible face aux 15 ou 20cv supplémentaires délivrés par ses concurrents bicylindres de l'époque.
Qu'à cela ne tienne. Dans mon esprit, le projet de transformer cette modeste 500cc en Manx du pauvre devait aboutir à quelque chose d'intéressant et je me suis lancé. Par chance, un ami de vieille date, coureur et préparateur de motos de courses anciennes telles que Seeley G50, AJS 7R, BSA Gold Star acceptât le défi. Entre passionnés, le courant a passé sans que nous ayons à beaucoup parler. Le résultat correspond à mes attentes même si la machine souffre encore aujourd'hui de quelques défauts de "jeunesse". Il est aussi sans doute probable que certains détails essuient la critique des puristes.
Toujours est-il que le chemin fût long et semé d'embûches. Après démontage complet de la machine, tous les éléments ont été contrôlés et remis en état quand nécessaire. Ce fût notamment le cas de la fourche dont les tubes avaient été cintrés lors d'une chute. Il s'est ensuite agit de souder les pattes de fixation pour le réservoir d'essence et d'huile, de type Manx. Faute de place à côté du réservoir d'huile, il a fallut créer un support pour la batterie de 6V derrière la boîte à vitesses. Les butées de direction ont du être modifiées de manière à ce que le guidon n'entre pas en contact avec le réservoir en bout de course. La magnéto a été révisée, à grands frais, par un spécialiste à Zürich. Un nouveau garde-boue avant avec des fixations en Y du plus bel effet ont été posés. La courbure du tube d'échappement qui entrait en conflit avec le carter-moteur côté droit et le kick a été modifiée. Un guidon de type Thruxton et des amortisseurs neufs sont venus compléter, entre autres éléments trop long à lister, la machine.
Arrivé à la fin de ces travaux de remontage à sec, la machine a été entièrement redémontée une nouvelle fois afin d'entreprendre les travaux de peinture du cadre et des réservoirs. Tous les éléments non peints ont été polis ou rechromés. Le remontage final ne fut qu'une formalité.