
En pleine ébullition depuis plusieurs années, le marché des roadsters sportifs voit des machines de plus en plus abouties arriver, que dis-je, débouler. Les chiffres concernant la puissance ou encore le poids n’ont plus à rougir vis-à-vis des sportives, tout comme l’équipement embarqué par ces tueuses de permis.
Du coup, on peut se demander si ces roadsters ne sont pas le « couteau suisse » de la moto. Un espèce d’idéal, capable de vous emmener chercher (très vite) une baguette de pain. Puis faire la route des cols ou un tour du bord du lac en promenant madame (ou monsieur) dans un certain confort et surtout sans que celle-ci ressemble à un crapaud posé sur une boîte d’allumettes. Et enfin, comme dans ce qui a motivé cet essai, aller faire des ronds sur un (magnifique et exigeant) circuit, en l’occurence le Lédenon.
Je ne vais pas vous réécrire la fiche technique de la moto, celle-ci ayant été parfaitement interprétée par mon estimable et estimé collègue Phoukham. En revanche, je peux vous dire que faire le tour de la Speed pour la détailler sous tous les angles est un vrai régal tant la qualité de finition made in England est, comme toujours, bien présente.
Son design est des plus réussis, avec une ligne agressive à souhait: on dirait un gros matou musculeux et bien propre sur soi prêt à bondir. Pour donner cette impression de virilité, Triumph a respecté tous les codes : un gros réservoir qui joue des épaules au-dessus d’un bloc que l’on sent svelte mais bodybuildé, débordant juste ce qu’il faut du châssis qui l'enselle tel un Wonderbra. Un avant qui plonge, impression accentuée par le double optique méchant dont la ligne est également plongeante. Et enfin un arrière dégagé et fin dont le monobras donne encore une plus belle vue sur le gros gommard arrière qui doit encaisser les 180 bourrins. Et que dire une fois la belle débarrassée de son porte plaque (opération qui prend 3 minutes chrono), hormis un rhaâââââ lovely !
La qualité des matériaux est omniprésente avec, par exemple, les écopes latérales en alu brossé. On voit très peu de plastique hormis le cache vase d’expansion à gauche. On peut ne pas aimer les rétros en bout de guidon, mais ceux-ci sont à la fois efficaces, vite enlevés pour un usage piste mais surtout ils sont fonctionnels et ne vibrent pas !
Au niveau des petits accros et défauts de jeunesse, on notera le couvercle de la valve d’échappement qui a tendance à vite disparaître ou encore les petits caoutchoucs qui tiennent le cache-vase d’expansion qui ont la même envie baladeuse, voire encore certaines vis qui tiennent le bâtis arrière qui sont un peu longues, mais rien de dramatique en regard de la qualité et du soin apportés à la machine.
Bon, comme indiqué au début, et bien que la première prise de contact ait eu lieu sur route, le but premier est de confronter miss Speed mouture 2021 au circuit et pas n’importe lequel puisqu’il s’agit du plus tortueux et sélectif, à savoir le Lédenon.
Une fois arrivé sur place, la première étape aura été de confier la belle aux soins de notre gourou de la mécanique, à savoir Cédric de GM Compétition, pour chausser Cendrillon avec ses chaussures de bal, à savoir des Pirelli Diablo Supercorsa Slick en SC3 à l’arrière et SC2 à l’avant. Faut qu’ils tiennent la distance des coachings du week-end !
Pendant ce temps, votre serviteur accompagné de sa plus belle clé à cliquet s’est occupé d’enlever le porte-plaque, les rétros et les cale-pieds passagers. Autant vous dire que l’affaire n’a duré que quelques minutes, ce qui a laissé le temps de se poser dans une chaise (qui a dit "une bière à la main" ?) face à la Speed trônant sur ses béquilles et chaussée des couvertures chauffantes déjà en place pour la première session du lendemain matin. La soirée aura non seulement permis de l’admirer mais également de prendre le temps de jouer avec le tableau de bord pour maîtriser le mode Track.
Savoir la Triumph dotée du blipper est un plus tant cet accessoire se révèle des plus judicieux et des plus utiles justement sur piste, notamment en permettant de rentrer les rapports lors des freinages sans perturber l’équilibre de moto. Un sacré plus ! Par contre, revers de la médaille, du coup, il est impossible de passer le sélecteur en mode vitesses inversées alors que c’est mon habitude pour les roulages sur circuits. Pas grave on fera avec.
Première session du matin, on y va pour faire connaissance avec miss Speed. L’agrément moteur me saute littéralement à la gueule. Quel bloc ! Ça pousse velu dès les mi-régimes, y’a pas à dire, le triple a quelque chose de magique avec à la fois le couple d’un bi et l’allonge d’un quatre. Autant vous dire qu’il ne faudra pas oublier de brancher les couvertures car même avec l’anti-patinage, réglé peu intrusif en mode Track, nul doute qu’il y a de quoi se satelliser avec un pneu froid.
Les progrès réalisés sur le train avant m’ont également très agréablement surpris. Sans avoir encore la légèreté de celui de sa petite soeur Street Triple, la chasse au poids permet à la Speed de rentrer très très fort en courbe avec une précision incroyable pour un gros 1200cm3 ! Car oui, il ne faut pas oublier que l’inertie d’un bloc qui dépasse le litre n’a rien à voir avec celle d’un moteur bien plus petit.
En cela, la Triumph est bien aidée par un freinage qui, comme à l’accoutumée, n’appelle aucune critique. On en est presque à se demander si les porteurs de lentilles de contact de devront pas les coller à la rétine pour ne pas les perdre sur un freinage trop appuyé.
Seul le travail des suspensions m’a laissé un peu sur ma faim, l’arrière pompant exagérément et l’avant remontant trop vite à mon goût. Après réflexion, je me suis dis que certains collègues avaient dû jouer avec les réglages des Öhlins pour les adapter au duo notamment. Après un rapide message à Yves, responsable marketing Triumph pour la Suisse, j’ai reçu le tableau des réglages et ai adapté ces derniers au circuit. Et là… Alléluia !! Il m’a été possible de remettre les gaz encore plus tôt en sortie de courbe, par exemple, pour ceux qui connaissent, dans la cuvette à la fin du circuit avant la remontée vers la ligne droite des stands. Quel pied !
Fameuse ligne droite qui met à mal l’électronique car dotée d’une cassure à gauche après la montée (raide) initiale. L’anti-wheeling est mis à rude épreuve, l’avant ayant tendance à jouer les filles de l’air bien qu’il doive jouer le train directeur pour prendre la bonne ligne le long du muret des stands. Et là, bien que l’avant se lève, il se repose avec douceur sans engendrer de guidonnage et permet de garder la poignée droite soudée à coin jusque… là où on ose, avant de rentrer le plus rapidement possible dans le fameux triple gauche.
Cette grande courbe met, elle, en avant la stabilité de la Speed. Une fois campée sur l’angle elle ne bouge plus mais reste néanmoins diablement maniable s’il faut au besoin resserrer le virage pour plonger à l’intérieur. D’ailleurs dans cet exercice le frein arrière est très agréable avec un bon toucher et une puissance contenue qui ne fait craindre aucune blocage.
Pour chipoter, oui, le blipper pourrait être un poil plus rapide, et surtout inversable (mais apparement ça ça devrait venir), oui j’aurais apprécié de pouvoir changer l’affichage du tableau de bord pour un autre qui fasse plus « circuit » en mettant en avant le compte-tours, d’un autre côté je suis scotché par la polyvalence de miss Speed Triple 2021. Surtout que dès que je la pose sur ses béquilles dans le box, elle renfile immédiatement son costume de diva anglaise, à l’instar d’une Aston Martin, et se laisse admirer par tous ceux qui passent à côté et ne peuvent que s’arrêter.
Après deux jours à limer quasiment non stop le tracé tortueux du Lédenon je n’ai pas ressenti de fatigue particulière, preuve qu’un gros roadster sportif y a tout fait sa place car moins « cassant » qu’une sportive dotée de guidons bracelet qui demande plus d’engagement physique. Et que dire du plaisir ressenti !
La Speed Triple 2021 serait-elle alors le fameux couteau suisse de la moto ? Pour ma part certainement ! Elle m’aura démontré qu’il n’y a pas besoin d’avoir ni des guidons bracelets, ni 220cv pour taper une pendule ou pour prendre son pied sur piste. Le cintre large et les 180cv de l’anglaise font merveille pour tenir cela et talonner sans peine les meilleures sportives. Et dire que « la mienne » est seulement affublée d’une paire de slicks… Cela m’aura démontré la qualité de l’engin, de ses périphériques et surtout sa polyvalence.
Bon m'sieur Triumph, faut qu'on discute !