
Avec la radicalisation des sportives qui, au fil des ans, se sont muées en hypersportives, on se trouve face à une brèche sur le marché des deux-roues. D’un côté les roadsters qui se sont « sportivisés » et de l’autre ces fameuses hypersportives. Quid de ceux qui aiment avoir un (petit) carénages et des guidons bracelets sans sacrifier tout le confort sur l’autel de la performance pure ?
Triumph veut apporter une réponse avec ce nouveau modèle qui, et ils insistent bien là-dessus, n’est pas simplement une Speed avec des guidons bracelets mais un nouveau modèle à part entière. Et ce, bien qu’une grande partie de la moto soit reprise à la RS. Les mots clés de la conception de la RR sont : pure élégance, performance et attitude, soit rien de moins que ce fameux style « so British » qu’on pourrait retrouver dans le monde du quatre-roues, chez Aston Martin par exemple.
Au niveau du rendu visuel, la Speed RR conserve la vue sur ce fabuleux trois-cylindres enserré et débordant juste ce qu’il faut du châssis comme d’un Wonderbra. Il se voit surmonté d’un carénage minimaliste dans la plus pure tradition Café Racer. Le tout est parsemé de petites touches de carbone qui amènent ce qu’il faut de sportivité.
Ce qui frappe d’entrée, ce sont les détails et la finition, au-dessus de tout reproche. C’est propre, léché avec, par exemple, les câbles électriques qui passent dans les tubes des bracelets ou ceux des suspensions électroniques qui disparaissent complètement une fois arrivés au té de fourche. Le summum est le support à l’intérieur du carénage qui est en carbone et en forme d’aile alors que la plupart ne le verront pas… Tout simplement magnifique ! Quant au regard du phare rond, il s’intègre parfaitement à la ligne de la moto.
La RR est bien entendu équipée des meilleurs périphériques avec ses nouvelles et spécifiques suspensions électroniques Öhlins semi-actives Smart EC2 sur lesquelles nous reviendrons, mais également des étriers de freins Brembo Stylema associés à un levier ajustable MSC de même provenance. La Triumph hérite aussi des nouveaux Pirelli Diablo Supercorsa SP V3 pour encore mieux coller au pavé.
Le bloc moteur lui ne change pas et on serait tenté de dire « tant mieux » tant ce trois pattes que j’ai découvert lors de mon essai de la Speed Triple RS au Lédenon m'avait bluffé de part sa disponibilité, son couple de 125Nm et sa puissance de 180cv largement suffisante.
Mon seul regret sera de ne pas voir le tableau de bord doté d’autres affichages, en effet, on a juste le choix entre deux coloris : cobalt et basalte. Mais grâce à MyTriumph connectivity, il est possible de jumeler son smartphone à la RR et d’avoir accès à plusieurs applications au tableau de bord comme la navigation, les appels, la musique ou même le contrôle de sa GoPro.
Et enfin, pour ceux qui voudraient personnaliser leur Speed Triple RR, le constructeur possède plus de 30 accessoires dédiés dans son catalogue.
Je prends un moment pour m’installer à bord de la RR et voir les différences entre le large cintre et les guidons bracelets. Ceux-ci sont situés à bonne hauteur (135mm plus bas que le guidon de la RS) et je ne suis pas trop en appui sur les poignets. Mon mètre 73 me permet de bien poser les pieds au sol et de braquer de butée en butée. Cependant, les plus petits gabarits seront plus à la peine du fait de l’éloignement des bracelets vis-à-vis de la selle (50mm de plus que la RS), le réservoir étant plus long que sur une supersportive. Les commandes tombent pile-poils sous les mains et sont très douces.
Le départ se fait en mode « road » avec l’ABS (qui agit également en courbe) sur « pluie » car justement il a plu le soir d’avant et la température est de… 5 tout petits degrés ! Vu qu’on se dirige vers une route qui monte en altitude, ça risque d’être un tantinet glissant, va y avoir du sport ! Fort heureusement, Triumph avait pensé à équiper nos RR avec les poignées chauffantes disponibles en option, au moins mes minimes seront (un peu) épargnées du froid.
Ce bloc est toujours un régal à emmener et il trouve toute sa place dans cette nouvelle Speed. Aucun besoin de jouer du blipper pour tricoter, et ce même si ce dernier est rapide et efficace, le couple de la Speed permet de descendre assez bas dans les tours et de bénéficier d’excellentes relances et le bougre n’est pas avare à monter dans les tours entre deux virages, permettant ainsi d’économiser des passages de vitesses. La poignée de gaz sans à-coups permet d’être serein sur les remises de gaz, lorsqu’on croise (par exemple) des plaques d’humidité qui se cachent à l’ombre.
C’est dans cet exercice, avec les nombreux changements de revêtements, que les suspensions électroniques semi-actives prennent tout leur sens. La tenue de route aura été excellente tout au long du parcours, conjuguant à la fois bon ressenti tout en préservant un certain confort. Surtout que cet élément est réglable, il est possible de choisir plus ou moins de fermeté.
Lors du retour, après la séance de shooting photos et le café serré bienvenu, comme la température avait grimpé autour des 10-12 degrés, il a été possible d’adopter un rythme bien plus rapide, et là sans avoir à sortir la moindre clé ou intervenir sur une quelconque molette, les éléments Öhlins se sont métamorphosés pour devenir plus rigides et mieux encaisser les courbes rapides et les freinages appuyés. C’est tout simplement bluffant d’efficacité.
En parlant du freinage, certains confrères ont trouvé l’attaque au levier un peu brutale, perso j’ai adoré. Pour moi, un frein doit être efficace dès qu’on lèche le levier sans avoir à tirer dessus comme un mort de faim pour ralentir. Je préfère jouer sur une course courte et au besoin augmenter au relâcher un petit peu la pression. Mais au besoin, et ça a été testé, il est possible de changer l’attaque au levier en modifiant le diamètre du piston du maître-cylindre via une simple molette. Ils ont vraiment pensé à tout.
La route empruntée était assez tortueuse par endroits et a permis de mettre en avant l’efficacité du châssis. Lors du développement de la RR, Triumph a mis le focus sur l’agilité et la facilité et l’exercice est réussi. Il est possible de bien bouger sur la moto grâce à la position assez naturelle, sans trop d’appui sur les poignets. Et pour ne rien gâcher, la selle, aux magnifiques surpiqûres, est confortable et permettra d’abattre du kilomètre avant que votre séant ne crie au secours.
Avant de vous parler de la moto, il faut d’abord que je vous fasse une (grande) parenthèse sur ce fameux tracé d’Ascari.
Ce circuit hyper technique est la propriété d’un milliardaire qui a pris les meilleurs virages des plus grands circuits et a fait « sa » piste dans une réserve naturelle. Il y a d’ailleurs même une courbe pour éviter un arbre qui ne pouvait être abattu ! La colline à l’arrière des box abrite son garage souterrain privé que j’ai pu visiter lors d’un ancien roulage. Ce dernier comporte sa « petite » collection privé de plus de 400 voitures et motos. Et comme ça ne suffisait pas, cet heureux homme a créé sa propre marque : Ascari.
Mais revenons au tracé, ses 5,425 km sont composés de 26 virages, avant autant de courbes à droite qu’à gauche, avec des chicanes, du banking (ça c’est bon), des cassures qui passent à bloc, des entrées sur les freins, bref le bonheur ! Mais pour encaisser toute cette diversité, il faut une moto au point.
Enfin, afin de rajouter une petite difficulté, la température ne monte toujours pas beaucoup au-dessus des 10-12 degrés et l’asphalte, qui a été refait (seulement…) 8 semaines auparavant, a de la peine à sécher. Le grip des Pirelli Supercorsa SC prévus pour le roulage piste va être mis à rude épreuve.
La première session est faite derrière un coach afin de montrer les trajectoires et permettent à ceux qui ne le connaissent pas d’essayer de mémoriser le tracé. Perso ça me permet surtout d’appréhender le grip et éventuellement de modifier au besoin les trajectoires pour éviter les plaques d’humidité, dont deux magnifiques se trouvent à l’entrée d’une chicane avant laquelle il faut freiner fort… Gasp !
Lors de la deuxième session je peux ouvrir bien plus et commencer à « rentrer » dans la Speed RR. Le châssis que j’avais déjà trouvé bluffant sur la Speed RS lors de mon essais au Lédenon, met encore plus en confiance grâce au poids reporté sur l’avant du fait des guidons bracelets. Le retour d’information est excellent et il est possible de rentrer assez fort, aux vues des conditions, sur les freins. D’ailleurs, l’attaque des freins trouvent encore plus tout son sens sur piste, ce sont de précieux alliés et il est aisé de moduler au besoin la pression sur le levier quand on passe en mode « oups m… là j’ai freiné à trop tard » et ça passe.
Moi qui n’était pas un grand fan des suspensions électroniques sur piste j’ai dû revoir mon jugement. Les éléments suédois m’ont filé la banane (sous le casque hein) surtout qu’il est possible et facile de les adapter. Avant ma troisième session j’ai mis un chouïa plus de compression à l’arrière pour encaisser les grosses accélérations et libérer tout autant de détente pour permettre au pneu arrière de mieux coller à l’asphalte et du coup à la RR de moins louvoyer sur les gros freinages appuyés.
Un des passages qu’on ne trouve sur aucun autre circuit, et qui met le châssis à rude épreuve est le banking. Après une chicane assez ouverte, s’ensuit un long gauche relevé qui se passe tout en accélération. C’est impressionnant la vitesse qu’il est possible d’atteindre avec la Triumph. Surtout qu’au bout il y a un freinage bien appuyé avant un gauche à nonante degrés.
Il aura été rude de rendre la clé-transpondeur de cette Speed Triple 1200 RR… j’aurais bien prolongé l’essai de quelques sessions (qui a dit quelques semaines ? Il gagne un panier garni). Et le plus dur à l'heure du bilan est de lui trouver des défauts.
A ce propos, lors de mon essai de la RS j’avais trouvé la boîte un peu dure et le point mort très difficile à choper. Au final c’était un problème de notre moto d’essai qui avait dû être quelque peu malmenée lors de différents essais car sur cette RR les vitesses passaient comme un morceau de pain qui tourne dans une fondue, surtout avec un blipper diablement efficace.
Je dirais donc chapeau Triumph pour avoir réussi à conjuguer efficacité de la moto avec ce moteur unique, ce châssis performant, et beauté de l’objet avec des lignes sublimes soulignées où il se doit et sans excès de touches de carbone. La signature visuelle du phare arrière est un vrai plaisir des yeux à elle seule.
Avec cette sportive, Triumph vient également combler une brèche entre les roadsters et les hypersportives. Nul doute qu'elle trouvera sa place sur le marché auprès de ceux qui voudront abattre du kilomètres sans vouloir passer par la case ostéopathie.
Derniers chiffres, depuis 1994 il s’est vendu 102’807 Speed et 3’900 RS durant les six derniers mois. Il m’est avis que ce n’est pas pour rien et que cela ne va pas s’arrêter de si tôt tant cette moto devient un mythe sur deux-roues.