Cet essai, on a pu l'organiser in extremis. La bête est arrivée vers fin mai, puis elle est immédiatement allée à Misano. De retour d’Italie, les mécaniciens de Kawasaki Suisse se sont assuré du bon état de la moto avant de nous la confier pour 3 jours au circuit d’Alès. Le jour qui précède l’arrivée des clients, nous avons réservé la piste pour faire cet essai dans de bonnes conditions. Au guidon ? Notre coach/pilote Bryan Chuat (sur les photos il n’y a pas que lui) qui nous donnera son ressenti pour le traduire dans cet essai.
En photo, son look était sujet à débat. Kawasaki ne rigole pas, s’ils ont fait ce design, c’est pour gagner en appui et perdre en trainée. De facto, la nouvelle optique plus petite est entièrement à LED et plus légère. Maintenant en face de la moto, le design au service de la performance me plait plus que prévu. Sa robe de couleur verte, c’est évidement un incontournable. La recevoir noir m’aurait déçu.
Le moteur ne change que très peu par rapport à la version 2019. Un nouveau procédé usine les canaux d’échappement de la culasse avec deux axes au lieu d’un. Les soupapes sont actionnées par des linguets en titane avec des ressors plus rigides et des cames plus pointues. Seulement, ceci privilégie les hauts-régimes, le moteur se retrouve assez creux à bas régime.
La couronne a pourtant reçu 2 dents de plus pour avoir une démultiplication plus adaptée aux reprises. Un circuit de refroidissement d’huile séparé est ajouté pour satisfaire aux attentes de l’équipe de Superbike. Toute la ligne d’échappement a été revue, du collecteur au silencieux titane légèrement allongé. Cela résulte en 203cv (213 si on ajoute l’admission d’air forcée) et pour le constructeur c’est suffisant pour se placer devant le reste de la production, du moins avec Jonathan Rea au guidon.
Pour Kawasaki, le comportement semble plus important que la fiche technique, c’est pourquoi ils ont soigné les améliorations châssis. L'axe de bras oscillant est déplacé d'1 mm vers le bas de série pour mieux faire travailler l'amortisseur en sortie de courbe et des pièces du catalogue peuvent déplacer cet axe de +/- 1 mm vers le haut ou le bas. La colonne de direction, plus proche du pilote met ainsi plus d'appui sur la roue avant, peut aussi accueillir des pièces pour avancer/reculer l'axe de +/- 4 mm et même changer l'angle de chasse.
Le bas oscillant est allongé de 8 mm et la longueur de fourche fait gagner 2 mm à son tour, augmentant l'entraxe de 10 mm sur la fiche technique. La répartition des masses change d'un petit 0.2% vers l'avant. Ceci aura son importance sur la piste !
Avec 2500 m de piste rien que pour nous, on ne pouvait pas passer la journée à maltraiter des Bridgestone RS11. Pour réaliser cet essai, on a chaussé la moto de slick Pirelli (un SC1 devant et un 200 SC3 à l’arrière). Puis un premier réglage de la position à l’arrêt montre que les leviers sont un peu hauts, seulement impossible de descendre plus bas ! Le maître-cylindre bute contre le bloc commodo et poignée de gaz électronique.
C’est une nouveauté 2021, le capteur Ride-by-wire est dans la poignée et non plus sous le réservoir. Pour la piste, on aurait aussi aimé inverser le sélecteur de vitesse, or d’origine ce n’est pas possible non plus. Cette sportive demande l’installation d’accessoires pour être une véritable pistarde.
Avec les sportives récentes, on a pris l’habitude de plonger dans le menu pour s’assurer des réglages de l’électronique avant de partir en piste. Le pilote a rapidement accès à la puissance moteur (Low, medium, full) mais surtout au S-KTRC avec 6 positions : 1 à 5 puis OFF. Au premier abord, 5 pourrait être le moins intrusif car juste avant off, mais c’est le plus intrusif.
On a également accès à la réduction de frein moteur KEBC (on/off), le KIBS qui gère l’ABS sur l’angle et enfin le KQS, shifter bidirectionnel installé de série. Il y a pour finir ce qui s’appelle le « Kawasaki Conering Management Function » sur lequel le pilote n’a pas influence, mais qui combine gestion du freinage, du contrôle de traction et du frein moteur pour offrir le meilleur de ce qui est à disposition en freinant tard et accélérant le plus tôt possible.
Après une journée de piste, Bryan n’avait plus envie de lâcher le guidon et a profité des deux jours qui suivaient pour connaître encore mieux cette ZX-10R 2021. Le train avant est particulièrement impressionnant, il met très vite en confiance pour aller freiner sur l’angle et forcer pour tourner la moto.
Le châssis a été revu pour ça et la fourche plus ferme en compression mais plus souple en rebond par rapport à la précédente, précisément dans le but d’offrir le comportement décrit plus haut. La fourche Showa BFF pressurisée offre également plus de possibilité de réglage, bien que le setup sorti d’usine ne réclamait pas de coup de tournevis.
L’amortisseur pourrait être perfectible, mais celui-ci est « sauvé » par le moteur creux à bas régime. Car en sortie de courbe, la puissance disponible ne suffit pas à sérieusement mettre en contrainte l’amortisseur, lequel cache alors son effet de pompage. Il y a l’aussi l’électronique qui participe à dissimuler cette faiblesse. Le contrôle de traction se fie plus à l’angle de la moto qu’à l’adhérence du pneu arrière, par conséquent la montée en régime est limitée alors que le dévers positif offre en théorie bien plus de grip comme dans le virage 2 par exemple.
Ce comportement est un rien frustrant, mais lorsque l’IMU lâche la bride et que les watts passent de la poignée droite à la roue, c’est une déferlante de couple qui vous arrache en avant et vous fait arriver une nouvelle fois très vite dans un virage où freiner tard et profiter de ce train avant exceptionnel.
Les sessions s’enchainent sans ménagement, ce qui met en avant l’ergonomie améliorée de la Ninja ZX-10R 2021. Les nouveaux bracelets 10 mm plus en avant et dans un angle bien ouvert retarde la fatigue dans le haut du corps tandis que le réservoir large permet au pilote de se maintenir en courbe en faisant moins d’efforts.
Côté freinage, même dispositif que sur la version 2019. Les étrier M50 font le travail en pinçant des disques de 330 mm de diamètre. Sur la ZX-10R, les durites restent en plastique contrairement aux durites tressées de la RR. Cependant on est contraint d’avouer que malgré 3 jours de roulage avec jusqu’à 34°C l’après-midi, le freinage n’a pas faibli.
Essayer cette Ninja, c’est un peu revenir à une réalité qu’un motard de comptoir a oublié. Un missile de 220 ch c’est agréable à posséder, d’en parler, sûrement aussi à piloter. Mais quand on en vient à la réalité de la piste, la Kawasaki se pose là et contemple la concurrence. Oui on aimerait bien pouvoir inverser la boîte et déplacer le levier de frein, mais ce sont des tares minimes pour une moto compétitive proposée au tarif d’entrée de gamme du marché.
Cette sportive envoie clairement du lourd et en impose par la réflexion qu’il y a derrière chaque amélioration. Le rapport prix/plaisir est excellent, surtout parce qu’elle inspire rapidement confiance. L’électronique joue un rôle là-dedans, mais pas que. Tout le travail sur la géométrie y contribue également.
Finalement après 3 jours c’est bien parce que les jerrycan étaient vides et les pneus littéralement lisses que Bryan a bien voulu rendre la moto (la barrière fermée en bout de pitlane y est probablement aussi pour quelque chose). Celle-ci est excellente, et depuis des années. Marcouille avait des étoiles dans les yeux en revenant de son test à Sepang en 2016, ce n’était pas que la destination qui le faisait rêver, mais aussi la monture. En revenant d’Alès on avait tous ces étoiles dans les yeux.