
Il y a des articles plus difficiles à écrire que d’autres. Il y a des essais plus marquants que ce à quoi on s’attendait. Il y a des moments où le sort semble vous jouer mauvais tour après mauvais tour. Il y a surtout des motos qui, parfois, parviennent à faire oublier tout ça, à rappeler d’où vient notre passion et à nous donner simplement l’envie de rouler.
Et ce ne sont pas forcément les motos que l’on croit. Il y a des machines qui proposent quelque chose de différent, sans qu'on sache trop quoi, qui vous touchent plus que d'autres. Voici le journal, désordonné et décousu, brouillon et très subjectif, qui raconte l’histoire de l’une de ces machines et la mienne, aujourd’hui inextricablement liées.
Berlin - Novembre 2017. Je fonds complètement devant la Svartpilen. La petite machine vient épauler ses sœurs Vitpilen et son look mi-scrambler mi-roadster néo-rétro me tape dans l’œil. On est appelés à se revoir, c’est sûr.
Barcelone - Mars 2018. L’essai de la Vitpilen 701, vraie surprise, laisse augurer de bien belles choses pour la nouvelle gamme Husqvarna. Je salive d’avance à l’idée d’essayer la petite 401.
Genève - Mai 2018. Ça y est, je monte sur la Flèche Noire pour la première fois et, malgré quelques a priori, les premiers tours de roue sont plus que prometteurs. On va bien s’entendre.
Valleiry - Juillet 2018. Je contemple l’étendue du désastre au bord de la route, mon casque à la main. La Svartpilen pleine de terre et de rayures, les roues plongées dans l’eau boueuse, au fond du fossé. Je crois que l’aventure est terminée.
On se sent vraiment stupide, après une chute. Surtout quand c’est de sa faute. Un excès d’optimisme et, avant de s’en rendre compte, on est parterre. On se sent d’autant plus stupide quand on tombe avec une moto d’essai. Ça m’est arrivé deux fois avant celle-ci, tout aussi stupidement. Cette fois, ça fait particulièrement mal au cœur. Car, après l’avoir sortie du fossé avec l’aide d’un type qui s’est arrêté avec sa femme, je constate deux choses :
D’abord, la Svartpilen est une moto vraiment solide. Malgré un bon claquage sur le bitume, une glissade et un tonneau dans le fossé, elle démarre au quart de tour et franchit l’obstacle boueux comme une meule d’enduro. Je ne fais pas d’enduro, mais après cet épisode, je pense avoir saisi l’essentiel de la discipline.
Ensuite, voir la petite machine aussi sale et abîmée me blesse. J’ai la fâcheuse tendance à développer un vrai attachement aux machines que j’essaie ou possède et la Svartpilen n’a pas fait exception. Je l’adore et je lui ai fait du mal : je m’en veux.
Ça avait si bien commencé…
Bernex - Mai 2018. La Svartpilen est superbe. La ligne tendue et sobre à la fois est renforcée dans ce coloris noir, qui lui va comme un gant. Les jantes à rayons, les pneus à tétines et le grand guidon lui donnent un air d’aventurière. Je regrette le support de plaque un peu imposant par rapport au gabarit de la machine, ainsi que les rétros et commodos un peu basiques et peu esthétiques. Mais ce phare, et cette coque arrière si épurée… si ma copine était d’accord, je la mettrais dans notre salon !
Le petit mono s’ébroue plutôt discrètement et les premiers tours de roue sont un peu destabilisants. Le ressenti des leviers confirme que des économies ont été faites et à bas-régimes, on est bien sur un 300, ça cogne et ça peine à trouver son souffle. Après quelques mètres, pourtant, je suis épaté par la facilité de l’ensemble. On se faufile dans la circulation avec aisance, les demi-tours se font dans un mouchoir et la stabilité permanente surprend. J’ai essayé peu de machines aussi faciles à glisser partout : la Svartpilen est une vraie truite !
Croix de Rozon – fin Mai 2018. Je termine mes photos statiques au milieu des champs. Si la petite Husky a excellé jusqu’ici en trajets semi-urbains, elle s’avère tout aussi à l’aise sur les routes. J’ai rejoint mon spot photo à une vitesse stupéfiante, sans jamais avoir l’impression de forcer. Elle aime rouler vite !
Son look vraiment sympa fait se tourner bien des têtes. Si le petit gabarit peut faire penser à un jouet, la qualité de l’ensemble et sa faculté à encaisser de fortes contraintes sont surprenantes. Les contraintes, horaires surtout, me laissent toutefois bien peu de temps pour profiter de la petite bête. Je passe le reste de la semaine à écourter ou reporter mes sorties, alors que je rêve d’emmener la petite Flèche Noire sur des petits lacets.
Ce ne sera finalement pas le cas, agenda serré oblige. J’aurai beaucoup rigolé dans les ronds-points, apprécié d’entrer chaque jour plus vite dans la bretelle d’autoroute en partant au boulot, en levant la roue avant à chaque feu vert. Passé 5'000 tours, le mono envoie de l’air et tout s’accélère alors que le vrombissement de la petite bête assure une ambiance sportive et ludique. Je ramène à regret la Svartpilen chez Speedbike, bien trop vite à mon goût, avec le sentiment de n’avoir pas entiérement saisi son potentiel.
Carouge – Juin 2018. Un mois plus tard. J’apprends par un heureux message que la brave petite Svartpilen s’ennuie chez Speedbike et ne doit pas être rapatriée avant un moment. On me propose de profiter de la petite pendant un temps encore. Génial !
Bien décidé à profiter de cette aubaine, je songe avec bonheur aux balades qu’on va s’envoyer. Aux photos dynamiques qui étaient passées à la trappe. A la joie simple de retrouver cette petite machine sympa, qui donne envie de rouler jusqu’à plus soif, quel que soit le trajet.
L’après-midi même, j’enfile des lacets dans un petit coin de Haute-Savoie. Angles de cochon, gros freinages, passages dans des petits chemins de terre : rien ne fait peur à la Svartpilen ! Jamais dépassé par les 42 chevaux, le pilote peut exploiter à fond la machine, qui a de la ressource ! Le feeling des pneus n’est évidemment pas le meilleur sur l’asphalte, mais on ne ressent aucun manque de confiance et on tournicote avec délice.
Je m’arrête à la pompe. Après presque 200 kilomètres, le réservoir n’est pas encore vide, mais il fait chaud. Là encore, les regards se scotchent sur les lignes séduisantes de la 401. Les liserés jaunes venant casser le noir brillant de l’ensemble font leur effet. Personne ne tique sur les rétros basiques et le support de plaque. Un type vient me demander où j’ai trouvé mon phare arrière à LED… « C’est le feu d’origine. » Le mec en veut une. Moi aussi.
Valleiry – Juillet 2018. J’essaie de sortir la moto de l’eau, avec un brave mec qui s’est arrêté m’aider. On soulève l’arrière et on place la moto perpendiculaire à la route. « Avec des pneus comme ça, lance-t-il, tu crois qu’on la remonte facile ? ». J’en sais rien. Ils sont couverts de boue, le guidon est bien tordu et faudrait qu’elle démarre. Elle démarre ! « Monte dessus, vaut mieux y aller d’un coup, sinon on va planter l’arrière dans l’eau ou la lâcher en haut de la pente. ». On ricane. Ce serait vraiment con.
Brave et joueuse jusqu’au bout, malgré son guidon tordu, la petite Flèche Noire bondit à l’assaut de la pente et, dans une dernière éclaboussure, se retrouve sur la route. On dirait presque qu’elle se marre, couverte de boue et d’herbe, un bout du guidon disant merde à l’autre et son support de plaque perdu au fond du fossé. La plaque est restée sur la route, elle. Chouette. Le type s’assure que je suis OK, puis reprend sa route. Merci encore.
Je suis devant cette pauvre petite machine toute abîmée et j’ai les boules. Une erreur stupide, pendant un énième trajet entre deux trucs à faire et voilà. La séance de photos dynamique de demain, l’essai longue durée de la moto, tout est littéralement tombé à l’eau. Pas vaincue, la Svartpilen rebrousse chemin et vrombit comme si de rien n’était. Après un passage au kärcher, elle est propre comme un sou neuf. Presque neuf…
Bernex – Quelques jours plus tard. Dans le box, je finis de scotcher le joli bloc compteur, déjà pas super lisible de jour, pour éviter qu’il se morcelle encore plus. Il fonctionne encore. Tout fonctionne encore, en fait. Pas de fuite suspecte, démarrage au quart de tour et le même entrain à partir rouler, la même facilité. Malgré le guidon tordu, mes petits bobos et la pluie qui menace, je rentre presque aussi vite que d’habitude dans cette fameuse bretelle d’autoroute et je me marre sous mon casque. Cette machine est vraiment géniale.
Je fais quand-même moins le malin devant mon clavier. J’essaie à tout prix de finir mes papiers avant de rendre une moto, pour que le ressenti que je souhaite transmettre soit le plus direct possible, que l’essai s’imprègne de ces petits détails qui rendent chaque moto vraiment cool. Et surtout pour ne pas prendre de retard. Je suis toujours en retard pour écrire.
J’étais déjà parti sur l’idée du journal de bord, pour mettre la Husky dans plein de situations qu’on rencontre dans notre quotidien de motard. J’aurais aimé vous proposer cet article, avec de superbes photos illustrant chaque situation. Pour tout un tas de raisons, mais surtout à cause de ma stupidité, ce n’est pas l’article que j’ai pu publier.
Je n’ai pas été à la hauteur de la Svartpilen et de mes propres attentes. Elle propose un truc en plus, qu’on ne retrouve pas sur d’autres motos de la catégorie 300, qui s’avère décidément un vivier à machines sympas. Accessible et très intuitive, elle a surtout du charme et un caractère joueur qui transforme le quotidien en aventure permanente. L’aventure, pour moi, a été plus mouvementée que prévu et me pousse à me remettre en question.
Vous penserez peut-être que je manque d’objectivité et que j’ai surtout beaucoup parlé de moi dans ce papier. C’est peut-être le cas et je m’en excuse. Mais il m’est impossible de vous transmettre mon ressenti sur la Svartpilen 401 en minimisant une partie de ce que j’ai pu vivre à son guidon. Je vous invite toutefois à aller l’essayer, pour prendre la mesure de son potentiel qui, je n’en démords pas, est vraiment dingue.
Désolé, petite Flèche Noire, et à bientôt, peut-être, pour de nouvelles aventures.
P.S.: Merci à Simon de Husqvarna Suisse, pour le prêt de cette Svartpilen ainsi que les médias fournis pour pallier à l'absence de photos dynamiques maison. Et, encore, désolé...