Article du 11 août 2020

Djeemee's Story - Sapinette

Texte de Djeemee / Photo(s) de Djeemee

Dans la vie d'un motard, le premier gros cube reste un souvenir marquant. Synonyme de découverte et d'horizons nouveaux, une première moto marque la vie du motard. C'est le cas de mon premier gros cube, dont je ne me suis que récemment séparé.

Cher lecteur·trice·x d'AcidMoto, 

Cet article ne commence pas de façon banale et ce n'est pas innocent. Il ouvre une série de « papiers » plus personnels et orientés « blog », dans le jargon du web, que j'ai longtemps projeté, dont les brouillons s'entassent sur divers supports et que je n'ai surtout jamais osé partager, au final, avec toi. Aujourd'hui, 10 ans d'AcidMoto, paternité, maturité et crise COVID obligent, je me dis qu'il est finalement trop stupide de t'épargner mes multiples pages d'histoire personnelle. 

AcidMoto reste, je l'espère, ton site de news moto favori, agrémenté de multiples essais et compte-rendus d'événements plutôt cools. Mais aujourd'hui, le temps est compté pour chacun d'entre-nous et à titre personnel, j'estime plus cool pour toi comme pour moi de m'orienter partiellement vers un récit de mes expériences. N'y vois pas là la vanité d'un jeune-vieux motard en quête de validation par ses pairs (j'ai dépassé ce stade il y a si longtemps...), ni la quête providentielle de la distinction d'AcidMoto parmi tant d'autres médias francophones consacrés à notre si belle passion (on s'en fout, on est là pour toi). Vois-y seulement l'envie de partage d'un type normal, qui tente (parfois par envers et contre tout) d'entretenir la flamme de la passion motocycliste.

D'aventures en aventures

Si l'aventure AcidMoto a débuté en 2010, pour moi en 2011, mon aventure de motard remonte encore dans le temps. Après deux années de 50cm3, j'ai fait l'acquisition en 2004 d'une Suzuki Bandit 600. Un job d'été entier m'a servi à acheter celle qui, je ne le savais pas encore, m'accompagnerait pendant plus de 16 ans. Parlez-moi d'amortissement...

A quoi tient l'achat d'une première moto ? A rien. Personnellement, la Bandit entrait surtout dans mon budget et avait une réputation de fiabilité et de prestations assez satisfaisantes. Un comparatif avec sa cousine SV 650, parus en 2003 chez Moto Revue (je ne me souviens malheureusement pas du rédacteur du comparo), m'aura finalement décidé. Un splendide millésime 1995, vert sapin, rejoindra donc le box familial pour mes débuts dans la vraie vie de motard.

Car je n'ai pas attendu de passer mon permis « 34 chevaux » pour vivre cette passion. Une Yamaha DT 50, aussi de 1995, aura été mon destrier pendant deux années folles. Préparation carbu/échappement ; grosses arsouilles à Saint-Cergue avec mon cousin, alors scootérisé ; grands débats sur un forum français (salut, lerepairedesmotards!) ; debriefings scandalisés de mes conditions de circulation auprès de mes parents navrés... Je respirais moto, je pensais moto, je rêvais moto. Si j'ai essuyé quelques commentaires railleurs sur mon inexpérience, j'étais bien décidé à en remontrer aux « vieux » motards une fois le gros cube en poche et ma crédibilité assise.

Après des premières évolutions prudentes et sensationnelles (sur la Bandit, oui, oui), l'année 2005 fut celle de la révélation. Fier et heureux participant à la Tortue 2005, concentration annuelle du Repaire des Motards, je nouai des liens que vous ne saurez que trop comprendre avec des motards de l'Est de la France, au sein desquels j'honorai les couleurs de « notre » région sur de splendides routes auvergnates. Soyez ici salués, amis de l'Est.

Ce furent mes premiers tours de roue dans le monde motard, et Ô ! que ma passion brûlait ardemment. Cale-pieds frottant le bitume de départementales sinueuses, échappement Devil hurlant les vocalises folles ( en 34 chevaux, certes) du moteur SACS, trajectoires au cordeau et dépassements multiples de comparses pourtant mieux équipés... Ah, cher lecteur-trice-x., quelle époque formidable. Sapinette, puisque tel était le nom de ma monture, et moi, acquirent rapidement une réputation de fins gaziers. Rien ne nous arrêtait, sauf quelques mésaventures dans des ronds-points ou montées de cols optimistes, après lesquelles, un guidon, un support de cale-pieds et beaucoup de sueur paternelle plus tard, nous reprenions nos aventures, parmi nos camarades.

Nous avons tant vécu

Les années passant, la brave Sapinette se vit supplantée par une GSX-R 750 bouillante, que je ne savais absolument pas exploiter, finissant contre une Audi S8 lors d'un spectaculaire accident dont je ne conserve aujourd'hui encore aucun souvenir. Après quelques semaines de récupération, c'est au guidon de cette (déjà) vénérable Bandit que je me remettais en selle.

Une GSX-R 1000 plus tard, Sapinette continuait de répondre présente, que ce soit pour dormir des semaines durant chez divers importateurs, pendant que j'enfourchais leurs derniers modèles le temps d'un essai, pour s'infliger une soirée en ville ou emmener un passager timoré d'un point A à un point B. 

Les kilomètres ont défilé au compteur, avec leur lot de copines, de sorties entre potes, de weekends familiaux et autres trajets impromptus. Et mine de rien, les années passant, Sapinette (ne riez pas) m'a accompagné. Systématiquement. Sans faiblir ni râler. Cette moto n'aura jamais connu de circuit de vitesse. Tout le reste, excepté une piste de motocross, elle l'aura vécu. Enduré. Assumé avec un flegme et une fiabilité à peine envisageables. Cantonnée au fond du box pendant des mois, c'est la seule qui démarrait toujours au quart de tour, quand même les voitures familiales peinaient au coeur de l'hiver.

J'ai toujours aimé les motocyclettes, pour cette qualité de ménestrel. Certaines motos, les miennes, d'essai ou d'emprunt, ont pu témoigner de tranches de ma vie que certaines personnes ne connaîtront jamais. Les émotions ressenties alors passent pour moi par le guidon, et s'imprègnent dans leur cadre, leur moteur, pour graver ces souvenirs au fer rouge. J'ai emmené Sapinette dans des lieux que je n'ai pas encore revus depuis. Elle a été le réceptacle de mes frustrations, mes joies, mes déceptions amoureuses, mes frustrations de jeune adulte. En retour, elle n'hésitait jamais à donner de la voix, à m'emmener encore plus loin que je croyais possible, à enter en courbe en louvoyant légèrement de l'avant, depuis une énième chute, de cette façon si distincte que je la reconnaîtrais les yeux fermés.

Parce que les kilomètres avalés ensemble nous ont doté d'une connaissance parfaite de l'autre, en toutes circonstances. Je savais exactement à quel moment retirer le starter et elle savait exactement en quelles occasions faire comme si elle était déjà à température. Elle a essuyé bien des larmes et j'ai essuyé bien des crasses... les mots étaient évidemment inutiles entre nous et elle m'a souvent bien mieux consolé que les paroles les plus réconfortantes.

Cette machine, dans laquelle j'aurai déversé une quantité incroyable de sentiments, aura forgé le motard, et peut-être l'homme, que je suis devenu. Chaque moto, même ridicule aux yeux de certains, a quelque chose à me raconter, et reçoit quelque chose en échange (j'en connais quelques uns qui vont me parler d'une Svartpilen 401 ou d'une 1199 S Panigale...). Pour moi, une motocyclette restera toujours ce que l'on en fait avant ce qu'elle est. 

Le temps qui passe

Mais voilà, cher lecteur·trice·x., il y a un moment où le temps passe et où l'on sent qu'il est temps. Temps d'admettre que notre histoire, à Sapinette et moi, est bel et bien derrière nous (en plus ce papier devient vraiment long, j'ai peur d'avoir perdu la moitié d'entre vous au moins...). J'aimerais que tu puisses ressentir un dixième des émotions qui me submergent au moment où j'écris ces mots. 

Il y a plus d'un an que Sapinette n'a pas roulé. J'ai rencontré la femme qui, je le crois, partagera la vie qu'il me reste, et nous sommes ensemble devenus parents. Inutile de t'évoquer la tempête d'émotions engendrée. Depuis, Sapinette n'a plus roulé, mais elle a été là. Ce n'est peut-être pas pour rien qu'elle n'a plus roulé. Elle laissait déjà la place à une autre, et peut-être pas une autre moto... J'ai souvent pensé que la plupart des motos que j'ai roulées avaient plus de bon sens que moi. C'est sans nul doute le cas de Sapinette.

Je l'ai déposée dans une casse, il y a quelques jours, avec Patrick. Ce choix répondait autant à une inéluctabilité qu'aux circonstances et tout s'est fait sans trop d'émotions ni de cérémonie. On l'a chargée, on l'a déchargée, j'ai payé 50 francs et voilà. On voulait récupérer les pneus quasi-neufs, mais on n'avait pas de rechange. Son échappement Devil est toujours monté, il ne connaîtra sans doute pas d'autre machine. Je lui ai déposé un petit baiser lourd de sens sur son compteur gauche, en montant dans la camionnette, et je l'ai laissée là.

Comment t'évoquer cette séparation si « normale », si « évidente » pour beaucoup, sans tomber dans un sentimentalisme absurde. J'écris ces lignes et je n'ai qu'un parallèle à tracer : la perte d'un être cher. J'ai pris la décision de me séparer de cette moto, qui m'a littéralement vu grandir en tant qu'adulte, et j'en ai sincèrement le coeur brisé. Simplement savoir qu'elle repose là-bas, à quelques kilomètres, me remplit de tristesse. Cher lecteur·trice·x., je te souhaite de ressentir cela pour l'une de tes motos un jour. 

Cette Bandit 600 était vielle. Elle était mal entretenue. Elle était véritablement, après plus de 106'000 kilomètres au compteur, au bout de sa vie. Mais jamais elle n'aura été autant aimée, ni n'aura plus marqué la vie d'un motard. Sapinette et moi avons vécu tellement de choses que je pourrais écrire (je ne le ferai pas, t'inquiète) trois romans à propos de nous. Mais je me contenterai de la masse incroyable de souvenirs à son guidon, et de savoir que toutes ces années, elle m'a veillé, toujours prête à démarrer, parfois un peu plus difficilement, pour aller rouler ensemble. Pour la quasi-totalité de l'humanité, c'est juste une moto, un « bout de métal ». Pour moi, elle restera à jamais ma meilleure amie.

Je voulais juste te raconter, cher lecteur·trice·x., qu'il y a quelques jours, je me suis séparé de ma meilleure amie. Et qu'en tant que meilleure amie, je sais qu'elle le comprend tout à fait. Et que nulle autre ne remplacera tout à fait ce qu'elle a été pour moi. Merci pour les routes parcourues ensemble, Sapinette.

Jimmy
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