On vous l'accorde: côte à côte, elles ne semblent pas vraiment du même monde. La Triumph, dans son coloris blanc, se la joue sport-chic. Son regard froncé, qu'on a finalement adopté, donne le ton d'entrée, comme ses deux pots en position haute: c'est quand-même plus sport que chic! A côté de ce joli roadster, la Duke paraît être un adolescent en pleine croissance. Elle garde une finesse et des lignes fines proches de son passé de supermotard, mais commence à avoir la carrure d'un petit roadster. Le résultat est tout de même sympathique et reflète bien l'identité de cette nouvelle Duke.
Une identité qu'elle peine pourtant à assumer une fois le mono démarré. Avec une sonorité digne d'un scooter 125 au ralenti, la KTM passe totalement inaperçue à côté de la Triumph, qui s'éclaircit déjà la voix à l'allumage. Un bourdonnement qui donne la chair de poule émane des deux sorties chromées de la Triumph, dont le niveau de finition est d'ailleurs supérieur à celui de l'Autrichienne. Il faut dire que, pour rendre sa Duke très accessible, KTM n'a pas forcé au niveau des pièces et des finitions: c'est plutôt pauvre! L'échappement d'origine, peu esthétique et plutôt timide, en est un bon exemple. Par contre, quand on regarde la facture, on retrouve le sourire: pour 9'820 francs, on dispose d'un petit jouet qui n'aura finalement, on va le voir par la suite, rien à envier à son adversaire du jour, presque 2'000 francs plus chère.
Après ces considérations en statique, Yann donne le signal et on se met en selle pour rejoindre l'un de nos spots photos de la journée. C'est là que la différence entre nos deux montures saute aux yeux! D'une position classique de roadster, un peu basculée sur l'avant et les jambes bien repliées sur la Triumph, on passe à un truc bizarre, entre le supermot' et le roadster sur la Duke! D'une neutralité déconcertante, l'assise de la KTM se conjugue à merveille avec l'agilité du châssis: on fait demi-tour dans un mouchoir de poche et on se faufile sans aucune difficulté partout où on le souhaite. La Triumph n'est pas en reste, même si son gabarit de « vraie moto » se fait sentir.
On dit « vraie moto », parce que la Duke passe plutôt pour un gros, gros joujou! Si le mono se montre timide au ralenti, il vous envoie de gros coups de piston dès 3'000 tours minutes, en vous collant au fond de la selle et en délestant copieusement la roue avant! Le rupteur arrive bien vite, il faudra donc jouer du sélecteur bien souvent et relancer le mono à l'embrayage si l'on descend trop bas dans les tours. Une façon de rouler qu'on avait presque oubliée, tant le mono-cylindre se fait rare sur le marché des gros cubes. On n'a pas le temps de s'ennuyer sur la KTM!
Et le trois-pattes anglais, dans tout ça? Eh bien il est toujours là, mais un peu effacé par le tonitruant moteur autrichien! A noter tout d'abord que notre Street d'essai était neuve et ne semblait pas encore au top de sa forme. Face à un classique quatre-cylindres, le bouilleur britannique enchante par son couple supérieur et ses bonnes sensations. Mais opposé au remuant mono-cylindre de la KTM, il apparaît un peu plus lisse. Reste qu'on disposait tout de même du joyeux bourdonnement typiquement Triumph et d'une allonge supérieure à la KTM, bien utile pour contenir les assauts de la petite balle orange, qui se rapproche dangereusement au freinage...
Un freinage qu'on peut même effectuer en glisse, façon supermotard, avec la Duke! En tombant deux rapports avant une épingle, on fait patiner l'arrière sans aucun problème... une fois l'ABS déconnecté! Car si le système anti-blocage rassurera les débutants, il se montre très frustrant une fois qu'on veut s'amuser un peu... d'où l'utilité du troisième bouton du tableau de bord de la Katoche, qui débraye le système après une pression de trois secondes, à l'arrêt. Une fois ce détail réglé, la KTM peut venir s'amuser avec sa copine du jour.
Car s'il y en a une qui sait freiner, c'est bien la Street Triple R! D'une efficacité et d'un feeling bluffants, le freinage de la Triumph assure en toutes circonstances! Gros freinages, petits stoppies... tout passe sans aucun problème sur l'Anglaise, qui profite toujours des suspensions empruntées à la Daytona! Plus souple, la KTM doit s'appréhender mais n'est pas en reste non plus, malgré son simple disque à l'avant, et permet des entrées de courbe musclées!
C'est d'ailleurs en courbe que nos deux montures pourront se départager. Très vive, semblant même manquer de stabilité, la Katoche nécessite un petit temps d'adaptation et un certain lâcher-prise pour se révéler: la position très droite, le large guidon et le pneu de 160 à l'arrière limitent le feeling. Mais ils lui garantissent une agilité de tous les instants, des corrections de trajectoire à l'envi et des sorties de courbe très, très rapides. On relève la machine en un clin d'oeil avant de profiter de la patate du mono pour s'extraire de la courbe. La Street R, elle, se la joue plutôt « rail »! Imperturbable sur l'angle, elle trace ses traj's comme sa soeur Daytona et semble pouvoir pencher jusqu'à plus soif! Face à sa concurrente, hyper-agile, elle compte sur son potentiel sportif plus élevé pour hausser le rythme jusqu'à ce que le pilote de la Duke doive abdiquer. Pourtant, dans les petites enfilades, on a chaud aux fesses sur la Triumph... parce qu'un petit machin blanc et orange semble vouloir nous manger le pneu arrière!
La KTM virevolte juste derrière les échappements de l'anglaise, à l'intérieur, puis à l'extérieur, et vient même la taquiner en se portant à sa hauteur en sortie de courbe! Sur un tronçon qui lui convenait à merveille, l'Autrichienne aura tenu tête à l'Anglaise sans aucun complexe. Mais la Triumph nous aura inspiré plus confiance, par sa position et son comportement plus naturels quel que soit le type de route. La petite Duke tient elle aussi la route, même sans suspensions réglables, mais est plus difficile à appréhender. Il faut simplement lui faire confiance et saisir son mode d'emploi pour attaquer sereinement.
A la fin de la séance photo, on profitera d'un petit bout de route désert pour s'essayer à quelques âneries, bien motivés par le caractère joueur de nos bécanes du jour! Mais on a encore du boulot pour arriver à des hauteurs décentes...
Départager deux machines aussi fun n'aura pas été facile. Malgré quelques économies visibles (finition, suspensions non-réglables), la KTM offre un look décalé et des performances qui remettent le mono-cylindre au goût du jour. La Triumph, au tarif plus élevé, bénéficie d'un comportement sans faille et dispose d'un des moteurs les plus réussis de la catégorie. Elle offre un compromis performances/accessibilité/polyvalence plus intéressant que l'Autrichienne, ce qui justifie son tarif plus élevé et, le plus objectivement possible (la KTM est un gros, gros coup de coeur pour ma part), sa victoire dans ce comparatif. Mission accomplie toutefois pour la Duke, qui a chatouillé la Triumph tout au long de cette journée!