Je pars en dernier. Le pont est fait d’une série de traverses de chemin de fer maintenues avec de gros clous avec des interstices entre les traverses d’environ 15-20cm entre chacun. Certaines parties ont été réparées avec des plaques de ferraille rouillée. Les énormes clous qui maintiennent les travers bougent et le trajet est accompagné d’un bruit de cliquetis. Même si ce n’est pas si technique que ça, la longueur du pont, la perspective de se louper et de tomber dans la rivière quinze mètres plus bas rendent la traversée quand même pas banale. Une fois de l’autre côté, autant vous dire que c’est un gros soulagement !
Alors qu’on se félicite de notre exploit avec quelques photos souvenir, Sergei traverse le pont avec son énorme Ural qui prend toute la largeur, comme si c’était la chose la plus banale qui soit... Nos chemins se séparent ici où il part avant nous.
A peine remis de nos émotions que le prochain challenge nous attend à quelques dizaines de kilomètres : un pont détruit depuis plusieurs années et une rivière impossible à traverser à moto. Notre avantage, c’est que d’autres l’ont fait avant nous, et donc on sait directement ce qui nous attend.
Actuellement, il n’existe que deux solutions pour la traverser : payer le gardien du pont ferroviaire pour qu’il nous laisse passer, ce qui peut être soit cher, soit long s’il faut attendre qu’il se décide à accepter, puisque c’est totalement illégal. La seconde option, c’est de payer un camionneur pour qu’il nous transporte de l’autre côté.
On s’arrête à tout hasard dans un petit bled pourri comme il y en a tant sur la BAM et quelle surprise de tomber sur un Allemand qui habite ici ! Le gars a rencontré sa femme sur Internet et est venu ouvrir un petit kiosque ici, au milieu de nul part ! Invraisemblable !
Il nous invite à prendre un thé chez lui et, très rapidement, nous sommes l’attraction du jour. Pendant que tous les enfants débarquent et veulent monter sur les motos, essayer nos casques et faires des photos, une vieille babouchka me lit les lignes de vie dans mes mains et je ne comprends pas la moitié de ce qu’elle me raconte, mais peu importe...
On fait également connaissance du seul motard de ce village, qui arrive sans casque et en schlapp au guidon de sa Honda Hornet 900 !
C’est difficile d’imaginer le comique de la situation sans avoir été sur place. Le gars habite dans un endroit où il n’y a pas la moindre route goudronnée, à des centaines de kilomètres à la ronde et possède une moto de route avec des pneus lisses... Je sais bien que les règles s’appliquant aux communs des mortels ne s’appliquent pas aux Russes, mais quand même, je ne peux pas croire qu’il ait pu amener cette moto ici autrement qu’en train ! Malheureusement, à cause de la mémé qui ne voulait pas lâcher mes mains, je n'en saurai pas plus...
Grâce à notre ami allemand, on trouve un chauffeur qui veut bien nous faire traverser la rivière pour 5000 roubles pour les trois.
Aussitôt dit, aussitôt fait, on charge les trois motos dans la benne du camion et il traverse la rivière en quelques minutes sans le moindre problème. Les camions russes, c’est un peu aux camions ce que Chuck Norris est aux hommes, rien ne peut les arrêter.
La pluie recommence à tomber et il commence à se faire tard. On doit trouver au plus vite une place pour dormir.
A un point, la route se sépare en deux, et Ian, qui roule normalement devant traverse une rivière à contre-courant pour emprunter la piste de droite.
Autant moi qu’Uwe, on se rend compte que c’est au-dessus de notre niveau et on décide de ne pas traverser. Ian ne veut pas prendre le risque de revenir en arrière et du coup nous dit qu’on se voit plus tard. De toute façon, les deux pistes suivent la ligne de chemin de fer, on s’attend où elles se croisent...