
Il fait plutôt froid là-dedans, sombre aussi ! C'est ce qu'on pense immédiatement en quittant le soleil ibérique d'Aragon pour le car régie TV dépourvu de fenêtre. D'abord, on ne voit presque rien. Mettre un pied devant l'autre est difficile, on aurait vite fait de s'encoubler. Vos yeux ont besoin de deux à trois minutes pour s'habituer à l'obscurité. C'est un nouveau genre de chambre noire.
David Arroyo, employé de la DORNA, nous explique que la climatisation est nécessaire aux équipements électroniques sensibles aux changements de température, tout en offrant un environnement de travail plus agréable. Mais les équipes techniques ont toujours de quoi suer, lorsqu'arrive un imprévu sur la piste et qu'ils doivent réagir dans l'instant qui suit.
Quatorze personnes sont assises sur deux rangées, toutes un micro-casque vissé sur la tête. Huit d'entre eux sont seuls responsables des ralentis, deux supervisent les incrustations graphiques. Un homme coordonne toutes les images reçues des caméras embarquées tout en commandant le globe placé sur la moto de Bradley Smith ce week-end. Deux sont en charge de couvrir l'actualité via les réseaux sociaux et le tableau de chronométrage pour recommander de suivre un pilote dans un bon rythme.
Celui pour qui tous ces gens travaillent est assis à l'avant droit : Sergi Sendra (titre officiel : TV Director). Il est le maître de cérémonie. Comme la plupart des employés de la DORNA, Sergi est catalan et via sa console aux cinq cents boutons il décide quelle image est envoyée par satellite dans le salon de millions de fans de MotoGP à travers le monde. Sergi est un virtuose, sans quitter son mur d'écrans des yeux, ses mains survolent les touches tel un pianiste. Le multitâche poussé à l'extrême : suivre, presser des boutons, parler. Oui, Sergi parle tout le temps. "Trois, deux, un, go. Cut sur le casque de Rossi". Ensuite, Sergi décide de montrer Andrea Iannone assis dans le box Ducati. "Plus près, plus près", indique Sergy. "Au plus près", Sergi veut traduire la tension de l'instant par l'image. Dans le box, le cadreur s'exécute et zoome encore. Sergi se fait silencieux.
De son siège à Barcelone, DORNA Sports se félicite que le MotoGP soit un des meilleurs contenus sportifs mondiaux. Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Nombre de caméras par course : 148. Oui, cent quarante-huit. Pour commencer, il y en a vingt-trois distribuées tout autour du circuit d'Aragon. Deux par virage important : la première suit le leader et la seconde, tout ce qui pourrait se passer derrière lui. Les faits échappent rarement à l'oeil d'une caméra. Nonante-neuf caméras sont réparties sur les motos des trois catégories. La majorité sont des "gyro cam", donc lorsque Marquez se couche à 62°, l'image reste horizontale.
En MotoGP, à peu près toutes les motos ont trois caméras : une vers l'avant, une vers l'arrière et une vers le dos du pilote. Les meilleurs pilotes en ont en extra : poignée de gaz, sélecteur de vitesse, casque, ou n'importe quoi d'autre. Les techniciens de la DORNA ne manquent jamais d'idées.
Ce sont ces images embarquées qui rendent cette diffusion palpitante. "Nos caméras ne sont pas installées après coup", nous explique Manel Arroyo, père de Daniel et directeur général de DORNA Sports. D'après Arroyo père, Honda, Yamaha et les autres fabricants considèrent l'installation des caméras dès la conception de leur moto. Arroyo nous détaille la philosophie de l'entreprise : "Les caméras embarquées sont une partie intégrante d'une moto. Elles sont aussi importantes que l'embrayage ou les freins."
Pour les techniciens, il n'y a jamais trop de caméras. Ils en ont mis deux dans la Safety Car et deux autres quasi enterrées dans les vibreurs. En plus, des cadreurs à pied, un hélicoptère et une super-slow-motion apportent des images impressionnantes jusqu'à 2'000 images par seconde aux teams comme aux spectateurs. Grâce à ce super ralenti, Ducati a décelé un problème de vibrations indétectable à l'oeil nu, ils ont pu le corriger par la suite.
DORNA Sports s'est assuré les droits TV pour le MotoGP auprès de la Fédération Internationale de Motocyclicme (FIM) depuis 1992. Jusqu'alors, la qualité de diffusion était pathétique. Le diffuseur local était chargé de la production de chaque Grand-Prix et se débrouillait comme il pouvait. Bien souvent on manquait le passage de l'arrivée par le vainqueur, les incrustations étaient fausses, le réalisateur manquait les duels les plus chauds et certains virages n'avaient même pas de caméra.
Sous la houlette de DORNA Sports, chaque week-end suit le même plan. Timing de diffusion, jingles, incrustations, interviews : tout suit le même standard. Le personnel reste aussi le même, l'équipe de plus de deux cents personnes dédiées à l'emploi voyage avec le championnat. Employer du personnel autralien en Australie pour économiser les frais de déplacement ? "Non" répond Manel Arroyo, "nous y perdrions en qualité". Ainsi, à chacun sa place, quel que soit le circuit. Le même cadreur se trouve toujours au même virage que ce soit à Doha, Assen ou Aragon : Miguel Tello. Il sait parfaitement comment se déplace un peloton de coureurs après le départ ; d'année en année, il sait combien il peut zoomer pour ne rien manquer.
Voilà pourquoi cette diffusion peut se gargariser d'une qualité que d'autres sports rêvent de s'offrir. DORNA vend le signal diffusé à plusieurs chaînes, comme à Eurosport qui a les droits du direct en Allemagne et ZDF qui peut en diffuser des reflets après un certains temps.
Les droits TV ne sont qu'une partie de la tâche déléguée par la FIM à DORNA Sports. Ils ont aussi en charge la partie marketing et communication. Pour résumer, l'entreprise espagnole organise le MotoGP. Si la marque horlogère Tissot veut être visible au bord du circuit, ils payent la DORNA qui s'assurera que les cadreurs mettront bien en valeur la publicité ainsi placée. Ainsi, les sponsors des teams espèrent que la réalisation n'ignorera pas leurs pilotes. Ces partenaires ne sont pas déçus. "Notre technologie nous permet de dire à la seconde près combien de temps leurs pilotes sont restés à l'image", nous précise David Arroyo. Les équipes reçoivent des garanties du temps d'antennes qu'ils auront. Si ces chiffres ne sont pas atteints, les constructeurs ont droit de demander des comptes. Cependant, Manel Arroyo insiste pour que la réalisation suive les principes du journalisme: "Peu importe qui mène la course, il sera plus visible."
Tous chez DORNA Sports sont des perfectionistes. Au final, ce sont les fans, chez eux, qui sont gagnants devant leur spectacle du MotoGP.